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Les instituts d’études avancées, centres de l’excellence scientifque et du maillage international

Dans le domaine de la coopération internationale en matière de formation, le SEFRI soutient une sélection d’instituts d’études avancées (IEA) de l’espace européen. Les rectrices de trois instituts – le Wissenschaftskolleg zu Berlin, le New Europe College (Bucarest) et le Centre for Advanced Study (Sofia) – répondent à nos questions sur les défis et le rôle des IEA dans le paysage académique.

01.12.2022
Auteur/e: Jérôme Hügli

Les instituts d’études avancées (IEA) offrent à des personnes enseignant dans les hautes écoles (les résidents) la possibilité de passer un ou deux semestres sabbatiques à l’étranger. Ces séjours de durée limitée dans un établissement renommé, hors du quotidien universitaire, stimulent la créativité et encouragent les échanges internationaux et transdisciplinaires entre des scientifiques de haute volée. Les résidents – y compris suisses – sont sélectionnés selon le critère de l’excellence par un organe international composé de scientifiques. Le Wissenschaftskolleg zu Berlin (WIKO), le New Europe College (NEC) de Bucarest et le Centre for Advanced Study (CAS) de Sofia font partie des IEA soutenus par le SEFRI. 

Quelles sont les priorités de votre institution pour l’année académique 2022/2023? 

Barbara Stollberg-Rilinger (WIKO, Berlin): notre institut n’a pas d’agenda de recherche en propre, il met plutôt à disposition un cadre dans lequel les résidents peuvent poursuivre leurs projets dans des conditions optimales. Mais il existe de grandes lignes thématiques. Cette année, par exemple, il s’agit des thématiques «vérité/savoir/ falsification» et «migration/égalité/diversité». La défense de la liberté de la recherche, menacée dans un nombre croissant de pays, est une priorité de longue date de notre institut. L’idée récente de créer un institut partenaire en Ukraine s’inscrit dans cette optique. 

Valentina Sandu-Dediu (NEC, Bucarest): en plus de son programme phare, l’octroi de bourses de postdoctorats sur la base de l’excellence et dans l’esprit du «blue sky research», ou recherche fondamentale, le NEC explore des thématiques comme l’intégration des technologies numériques dans la recherche en sciences humaines, les défis émergents pour la démocratie, le bien-être social et la contribution des arts dans la société actuelle. 

Diana Mishkova (CAS, Sofia): cette année, nous avons trois priorités. D’abord, prolonger le programme de bourses pour les jeunes scientifiques bulgares (y compris ceux issus de la diaspora); ensuite, renforcer le positionnement de l’institut en tant que centre d’excellence pour la recherche pluridisciplinaire dans le domaine des études régionales, avec un accent sur l’Europe centrale, l’Europe de l’Est et l’Europe du Sud-Est; enfin, après les restrictions dues à la pandémie de COVID-19, rétablir la communication directe entre les chercheurs et la société civile au moyen de cycles de conférences publiques et de journées portes ouvertes.

Trois femmes sourient devant un buisson de roses.
De gauche à droite: Diana Mishkova, rectrice du CAS, Barbara Stollberg-Rilinger, rectrice du WIKO, et Valentina Sandu-Dediu, rectrice du NEC. Photo: Frédéric Berthoud, SEFRI

Quel rôle un IEA peut-il jouer dans un contexte académique qui est de toute façon marqué par les coopérations internationales et l’interdisciplinarité? Quelle plus-value les chercheurs et les chercheuses peuvent-ils tirer d’un semestre ou deux passés hors de leur environnement académique habituel? 

Barbara Stollberg-Rilinger: en effet, de nos jours, quasiment chaque institution académique se réclame de l’internationalité et de la transdisciplinarité. En Allemagne, les petits programmes d’échanges entre universitaires poussent comme des champignons. Mais le WIKO continue de disposer d’atouts qui le rendent unique. Premièrement, son indépendance institutionnelle par rapport aux universités et son caractère «national». Deuxièmement, la large palette de disciplines et de cultures scientifiques représentées: nous invitons en effet des résidents d’horizons différents, issus des sciences naturelles, des sciences sociales et des sciences humaines, ainsi que quelques artistes chaque année, ce qui donne en général de belles surprises. Troisièmement, les résidents cohabitent sur le campus pendant une année, prennent leurs repas ensemble et partagent la vie quotidienne, voire des moments de loisirs selon les affinités. Et enfin, l’offre de services particulièrement vaste et de qualité qui leur est proposée ainsi qu’à leur famille leur permet de se consacrer pleinement à leurs projets librement choisis et à des travaux exigeants, pour lesquels la frénésie du quotidien académique habituel ne laisse généralement pas le temps et le calme nécessaires. Au vu de la pression croissante concernant l’exigence de publier, les tâches administratives, l’enseignement et la recherche de fonds, l’espace offert par le WIKO est plus précieux que jamais.

L’actualité politique en Europe et dans le monde souligne que la culture d’une «société ouverte», dans laquelle les discours sont objectifs et les critiques se fondent sur des arguments, ne va pas de soi. Les IEA, en tant qu’institutions indépendantes, peuvent-ils et doivent-ils jouer un rôle dans ce contexte?

Diana Mishkova: les évolutions politiques actuelles en Europe soulignent en effet le rôle que les IEA doivent endosser. Dans des pays comme la Bulgarie et la Roumanie, le respect du discours démocratique et des critiques constructives n’a jamais été une évidence. Le CAS estime que son rôle sociétal le plus important est de promouvoir les valeurs d’une «société ouverte» à travers ses instruments académiques et d’encourager la pensée critique et les approches non conventionnelles pour aborder les défis politiques et sociaux. 

Valentina Sandu-Dediu: le format du NEC, inédit dans le contexte roumain, confère à ce dernier une certaine impartialité et lui donne la possibilité de poursuivre sur la voie de la recherche de pointe. Dans les conditions politiques actuelles, toute intervention de l’État dans l’administration de notre institution aurait des conséquences drastiques sur nos méthodes de travail, car cela impacterait notre autonomie dans la prise de décisions. En tant qu’institution indépendante, le NEC doit continuer de servir de plateforme neutre et académique pour des débats de toutes sortes, où prévalent la courtoisie et la liberté de dialogue.

WIKO, NEC et CAS

Le Wissenschaftskolleg zu Berlin (WIKO), institut de recherche indépendant et interdisciplinaire, a été fondé en 1981 sur le modèle de l’Institut d’études avancées de Princeton. Chaque année, il offre à environ 45 résidents du monde entier un séjour d’études d’une durée de un à dix mois pour leur permettre de réaliser un projet de leur choix. La plupart des résidents viennent des sciences humaines et sociales et des sciences naturelles, mais ils entrent aussi au contact de personnes qui sont plutôt étrangères aux milieux académiques: compositeurs, écrivains, journalistes, réalisateurs ou diplomates. 

Le New Europe College (NEC) est un institut roumain d’études avancées, créé en 1994 par le professeur Andrei Ples,u. Il reçoit chaque année une quarantaine de résidents avec des projets de recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales dans un cadre institutionnel à forte orientation internationale et un environnement stimulant pour des débats interdisciplinaires et critiques. 

Fondé en l’an 2000, le Centre for Advanced Study (CAS) de Sofia est le plus récent des trois. Il reçoit annuellement une vingtaine de résidents issus des sciences humaines et sociales. En plus des bourses individuelles qui encouragent la recherche d’excellence, il propose un cadre pour des projets collaboratifs qui réunissent des chercheurs et des chercheuses de régions et de domaines divers.

Des crises telles que la pandémie de COVID-19 exigent des IEA de la créativité et de la souplesse pour maintenir leurs activités clés et faire évoluer leurs formats. Quels autres défis à long terme voyez-vous pour l’avenir du WIKO?

Barbara Stollberg-Rilinger: bien que la liberté scientifique soit fondamentalement garantie en Allemagne, il y a là aussi des tendances insidieuses qui la restreignent, à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. D’une part, du côté de la politique, qui fait dépendre toujours davantage le financement des attentes immédiates d’impact et de transfert de savoir et qui fixe l’agenda de la recherche dans certains domaines d’actualité, de sorte qu’il reste peu de marge pour le libre choix des thématiques de recherche. D’autre part, je perçois une menace rampante sur la liberté scientifique dans le fait que le champ de ce qu’on peut dire rétrécit, et cette tendance vient de plusieurs mouvances politiques.

Même si le NEC et le CAS sont un peu moins anciens que le WIKO, ils ont une histoire de près de trente ans pour l’un et de plus de vingt ans pour le second. Quels ont été les points marquants de ces dernières années? 

Valentina Sandu-Dediu: un des acquis de ces dernières années est que nous avons pu conserver le programme phare du NEC. En même temps, nous avons dû nous adapter à de nouveaux défis en lançant d’autres formes de communication académique: nous avons organisé des universités d’été ou d’hiver en collaboration avec le WIKO et l’Université de Saint-Gall et nous avons mis en place de nouveaux programmes en lien avec les thématiques Société et démocratie, Numérisation et Nouvelles technologies.

Diana Mishkova: du point de vue institutionnel, il s’agit de la reconnaissance officielle du CAS en 2018 par le Conseil des ministres bulgare – selon ses propres termes, «en tant qu’organisation non gouvernementale unique dans notre pays, avec une capacité avérée, reconnue internationalement, et un succès fondé sur une longue pratique dans la gestion des programmes de bourses destinées aux jeunes chercheurs et aux jeunes chercheuses de Bulgarie et de l’étranger». Depuis, le CAS reçoit des fonds publics pour son programme de bourses, tout en restant indépendant de toute ingérence étatique dans la liberté scientifique. Sur le plan international, le réseau du CAS s’est élargi avec la coopération avec deux établissements de recherche américains de renom: la Getty Foundation et le American Council of Learned Societies.

Quelle importance revêtent les relations et les réseaux entre les trois EIA? Sur quels points pouvez-vous exploiter des synergies?

Barbara Stollberg-Rilinger: pour le WIKO, nouer des relations académiques en Europe centrale et orientale a toujours eu une grande importance, avant même la période de transition de 1989/1990. Le CAS et le NEC ont cristallisé ce réseau dans l’espace post-soviétique. Les trois instituts sont gagnants dans cette coopération. Le WIKO profite d’un aperçu sur des expériences de l’histoire et des systèmes académiques différents du sien. Décentrer son point de vue sur les thématiques de recherche, les problèmes et les défis a pour nous une valeur particulière, cela nous aide à dépasser ce que notre culture tient pour évident et à développer notre sens critique par rapport à ces évidences. Les questions de diversité sociétale, par exemple, se posent tout autrement en Europe de l’Est qu’aux États-Unis ou en Europe centrale.

Valentina Sandu-Dediu: la direction du WIKO soutient avec constance nos stratégies académiques, les échanges entre bénéficiaires de bourses et le maintien de l’excellence dans la recherche. La coopération avec le CAS s’est intensifiée ces derniers temps, après les expériences positives que nous avons faites autour du programme développé en commun «How to Teach Europe». En ce moment, nous travaillons ensemble dans le cadre du programme boursier «Relevance of the Humanities in the Digital Age» et co-organisons des rencontres et des séminaires avec des scientifiques de Sofia et de Bucarest. Diana Mishkova: en effet, il est difficile de citer des domaines dans lesquels ces trois institutions ne trouveraient pas de synergies à exploiter. Le WIKO, lui, est non seulement un modèle institutionnel, mais aussi une plateforme réputée qui permet aux personnes issues de la recherche de communiquer par-delà le fossé qui subsiste entre l’Est et l’Ouest, et avec le monde scientifique allemand plus généralement. Quant au CAS et au NEC, ils renforcent la coopération académique et les échanges au sein de la région plus large de l’Europe du Sud-Est, à travers une série de projets et d’efforts collectifs pour surmonter les défis communs. Cette coopération est un moyen incitatif pour renforcer le profil de chaque institution et pour développer des compétences et des connaissances communes tout en encourageant le développement des réseaux scientifiques européens et régionaux.


Contact
Jérôme Hügli, SEFRI Chef suppléant de l'unité Programmes internationaux de formation jerome.huegli@sbfi.admin.ch +41 58 465 86 73