Les bourses d’excellence de la Confédération, un tremplin pour la carrière, mais pas seulement!
À l’occasion du renouvellement intégral de la Commission fédérale des bourses pour étudiants étrangers (CFBE) par le Conseil fédéral fin 2023, nous avons interrogé le professeur Stefano Bernasconi (ETH Zurich), nouveau président de la CFBE, ainsi que les deux anciens co-présidents, les professeurs David Giauque (UniL) et Michael Gibbert (USI), sur l’importance des bourses d’excellence de la Confédération.
Chaque année, environ 350 étudiants et chercheurs étrangers hautement qualifiés reçoivent une bourse d’excellence de la Confédération. La Commission fédérale des bourses pour étudiants étrangers (CFBE) est responsable de la sélection et de l’attribution de ces bourses qui sont un instrument éprouvé de la stratégie internationale de la Suisse dans le domaine de la formation, de la recherche et de l’innovation. Le programme de bourses est ouvert à tous les pays avec lesquels la Suisse entretient des relations diplomatiques. Avec les pays industrialisés, le principe de réciprocité s’applique: une offre de bourses de la part de la Suisse implique qu’en contrepartie, les étudiants et les chercheurs suisses peuvent également prétendre à des bourses dans le pays partenaire. Les bourses de la Confédération s’adressent aux étudiants postgrades et postdoctoraux de toutes les disciplines scientifiques ainsi qu’aux étudiants en art de niveau master.
Le soutien actif d’un professeur d’une haute école suisse est une condition importante pour l’octroi de chaque bourse. Ainsi, les bourses encouragent les carrières de jeunes chercheurs, mais ouvrent également aux superviseurs académiques des accès aux universités d’origine de leurs boursiers. Les bourses d’excellence de la Confédération renforcent par conséquent la mise en réseau internationale des hautes écoles suisses et créent de nouvelles possibilités de coopérations à long terme. Les universités cantonales, les hautes écoles spécialisées, les écoles polytechniques fédérales ainsi que swissuniversities et le corps intermédiaire académique sont représentés au sein de la CFBE. Les membres de cette commission extraparlementaire sont nommés par le Conseil fédéral.
Prof. Dr. Stefano Bernasconi
Le professeur Stefano Bernasconi est professeur titulaire de biogéochimie à l’Institut de géologie du Département des sciences de la Terre, à l’ETH Zurich. Depuis 2013, il est membre de la Commission fédérale des bourses pour étudiants étrangers et délégué de l’ETH Zurich. Le Conseil fédéral l’a nommé président de la CFBE à compter du 1er janvier 2024.
En tant que nouveau président de la CFBE dès 2024, quels sont vos objectifs pour les années à venir?
En raison de la situation financière qui ne permet pas d’augmenter le budget de la CFBE, nous devons trouver des stratégies pour adapter le montant des bourses à l’augmentation du coût de la vie, sans trop réduire le nombre de bourses (notamment pour les pays en développement). Une autre priorité est l’introduction d'une nouvelle plateforme de candidature qui permettra aux candidats de soumettre leurs dossiers par voie électronique et aux délégués d’évaluer ces dossiers de la même manière. Ce nouveau système devrait simplifier le travail d’évaluation des membres du comité et le rendre plus efficace.
Quelle est l’importance des bourses CFBE au sein de l’ETH Zurich?
Pour l’ETH Zurich, le programme de bourses de la CFBE offre la possibilité de nouer des contacts avec des chercheurs et des universités, notamment dans des pays moins privilégiés. Ces contacts constituent souvent la base pour d’autres projets à long terme et sont un moyen important pour les chercheurs d’institutions de pays en développement d’obtenir une place de formation doctorale ou postdoctorale à l’ETH Zurich, étape importante pour la poursuite d’une carrière dans leur pays d’origine.
Quelles sont les défis qui se posent pour l’instrument des bourses CFBE?
La principale difficulté avec la situation financière actuelle est de pouvoir proposer des bourses compétitives qui offrent aux boursiers une sécurité financière suffisante pour qu’ils puissent se concentrer sur leur recherche. Cela nécessite une contribution financière supplémentaire de la part des professeurs invités, ce qui n’est pas facile à obtenir dans de nombreuses disciplines. Malgré ces difficultés, les bourses sont très appréciées, car elles représentent un tremplin pour la carrière académique des jeunes chercheurs.
Quelles sont selon vous les possibilités qu’offre l’instrument des bourses CFBE?
Les projets de bourses de la CFBE reposent sur l’initiative d’étudiants et de jeunes chercheurs et adoptent une approche ascendante, ce qui donne aux professeurs invités la possibilité de développer de nouveaux axes de recherche ou d’accéder à des régions qui resteraient inaccessibles pour des études sur place sans contacts locaux. L’échange interculturel et scientifique est enrichissant tant pour les boursiers que pour les hautes écoles suisses.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes chercheurs qui souhaitent postuler pour une bourse CFBE?
La première étape, souvent difficile, pour obtenir une bourse est de trouver un professeur prêt à accueillir l’étudiant ou le chercheur. Il est central de se renseigner sur les intérêts des professeurs avant de les approcher et d’établir ensuite le contact avec une proposition de projet concrète et un CV convaincant. Les professeurs reçoivent de nombreuses demandes de collaboration, il est donc important qu’ils puissent se faire rapidement une idée du potentiel scientifique d’une candidature et d’un éventuel intérêt scientifique mutuel.
Carte blanche: qu’aimeriez-vous encore ajouter?
L’attribution des bourses de la Confédération se fait sur une base très compétitive et il est souvent extrêmement difficile de faire un choix parmi les nombreux dossiers de haute qualité, notamment parce que nous savons que notre décision a un impact considérable sur l’avenir des candidats. La récompense que nous retirons de ce travail est que la plupart des boursiers affirment que l’expérience qu’ils ont vécue pendant leurs études en Suisse a complètement changé leur vie et leur a ouvert de nouvelles perspectives, tant sur le plan professionnel que privé. C’est une grande motivation à poursuivre ce travail, pour nous, délégués, et pour les institutions d’accueil.
Prof. Dr. David Giauque
David Giauque est professeur ordinaire à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) à la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique de l’Université de Lausanne. Il était membre de la Commission fédérale des bourses pour étudiants étrangers de 2012 à 2023. Entre début 2020 et fin 2023, il a assumé la fonction de co-président de la CFBE.
Quelle est l’expérience la plus marquante que vous retirez de cette activité en tant que membre de la CFBE et en tant que co-président de la CFBE?
À n’en pas douter, le retour très positif des boursiers de la Confédération, qui nous disent à quel point leur bourse a permis le développement de leur vie professionnelle dans le monde académique. On ne se rend pas toujours compte, en travaillant au sein de la Commission fédérale des bourses pour étudiants étrangers, à quel point ce soutien financier est important pour les jeunes bénéficiaires provenant de partout dans le monde. J’estime que cette commission est un atout majeur pour les boursiers, mais aussi pour la Suisse et son image. Du reste, les ambassades et consulats suisses tout autour du globe nous ont toujours soutenu avec engagement et intérêt, ce qui prouve bien l’intérêt de la CFBE.
Quelle est l’importance des bourses CFBE au sein de l’Université de Lausanne?
Ces bourses sont importantes et de nombreux collègues, superviseuses et superviseurs académiques, nous font part de leurs expériences très enrichissantes avec de jeunes universitaires, en cours de doctorat ou en postdoc. Les échanges interculturels sont donc très importants à leurs yeux et permettent un renouvellement des points de vue sur les objets de recherche. Ces bourses sont donc importantes pour favoriser l’internationalisation de nos universités et permettre ainsi à des étudiants provenant de régions parfois défavorisées de pouvoir se confronter au monde académique suisse. Bien sûr, l’atterrissage et l’intégration sont parfois difficiles. S’habituer au climat météorologique et à la culture suisses n’est pas chose aisée. Parfois la greffe ne prend pas et le séjour est un échec, mais dans la plupart des cas les boursiers profitent de leur aventure en Suisse.
Quelles sont les défis qui se posent pour l’instrument des bourses CFBE?
Il paraît assez clair aujourd’hui que la commission va devoir réaliser une profonde réflexion sur le niveau des montants des bourses octroyées, afin de permettre aux boursiers de pouvoir vivre correctement dans notre pays, mais aussi sur le nombre d’années prises en charge. Financer trois ans pour la réalisation d’une thèse paraît bien souvent un peu court. Du coup, nos universités nous challengent bien souvent en faisant pression sur nous, délégués auprès de la CFBE, afin que nous relayions ces problématiques. Il faut prendre garde, en effet, à rendre ces bourses attrayantes aussi auprès des superviseuses et superviseurs académiques. Ils et elles ne sont pas prêts à accepter de travailler avec des doctorants ou des postdoctorants dont les conditions de travail sont considérées comme difficiles. Il est donc temps de prolonger la réflexion que nous avons d’ores et déjà initiée au sein de la CFBE en regard de l’amélioration des conditions d’accueil des boursiers et boursières de la Confédération. Il en va aussi de l’image extérieure de la Suisse.
Quelles sont selon vous les possibilités qu’offre l’instrument des bourses CFBE?
Clairement, les bourses CFBE permettent à de jeunes chercheurs étrangers, provenant parfois de régions défavorisées, de poursuivre leur rêve de carrière académique. Une enquête récente portant sur les bénéficiaires de nos bourses, réalisée pour le compte de la CFBE, démontre de façon claire que ce soutien financier atteint ses objectifs. En effet, une grande majorité de nos boursiers poursuivent leur carrière académique et beaucoup d’entre eux et elles décrochent par la suite des postes fixes dans la sphère académique. Ce qui est plus remarquable encore, c’est que ces bénéficiaires reviennent en grande majorité dans leur pays d’origine et contribuent ainsi au développement académique de leur propre pays. Les bourses CFBE ne produisent donc pas un «brain drain», mais permettent en revanche la création d’effets de levier pour contribuer au développement et à l’amélioration du niveau académique de pays qui en ont parfois grandement besoin. Ce transfert de connaissances qu’autorise l’octroi de ces bourses est donc absolument indispensable. Nous en sommes particulièrement fiers.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes chercheurs qui souhaitent postuler pour une bourse CFBE?
Bien souvent, les jeunes chercheurs et chercheuses sollicitent le soutien de superviseuses et superviseurs de façon beaucoup trop imprécise. Ils et elles envoient des courriels à de nombreuses et nombreux collègues universitaires suisses en leur demandant de les soutenir dans le cadre de leur postulation à une bourse CFBE. Mais ils et elles font cela de façon souvent «industrielle» et indiscriminée, inondant les boîtes courriels des collègues universitaires et en ne leur donnant pas suffisamment de détails quant à l’orientation de leur travail. Ce constat vaut en particulier pour les étudiants et étudiantes qui sollicitent une bourse de doctorat. Mon conseil est donc de mieux cibler les superviseuses et superviseurs et de mieux leur expliquer le projet sur lequel ils et elles souhaitent travailler dans les prochaines années. En l’occurrence, une demande de supervision devrait toujours s’accompagner d’un document de 4-5 pages explicitant clairement la question de recherche, les objectifs de l’étude, mais également les raisons pour lesquelles la candidate ou le candidat s’adresse à la superviseuse ou au superviseur en question, de même qu’une justification du choix du lieu d’étude (pourquoi cette université et pas une autre en Suisse?). Un bon dossier avec une bonne argumentation feront toujours la différence dans le choix d’une superviseuse et d’un superviseur de soutenir ou non une candidate ou un candidat.
Carte blanche: qu’aimeriez-vous encore ajouter?
Je souhaiterais ici dire le grand plaisir que j’ai eu de siéger dans cette commission durant douze années riches de nombreuses expériences et découvertes. J’ai beaucoup aimé, en particulier, le contact avec le secrétariat de la CFBE, qui comprend des personnes très compétentes et dévouées, avec les collègues délégués et déléguées des universités suisses, ainsi qu’avec les membres des bureaux d’accueil de nos différentes universités. Le travail dans cette commission s’est toujours réalisé dans une ambiance détendue, ouverte, mais sérieuse et exigeante. Des valeurs communes nous réunissaient et nous en prenions bien soin. Parmi celles-ci: la bienveillance, l’écoute mutuelle, l’intérêt du bien commun et du service public, le multiculturalisme et l’ouverture au monde. Ce sont des valeurs fondamentales, qui sont en danger actuellement, et que les membres de la commission et du secrétariat général ont toujours privilégiées. Dès lors, je souhaite longue vie à la CFBE, nous en avons grandement besoin.
Prof. Dr. Michael Gibbert
Michael Gibbert est professeur ordinaire à l’Institut de marketing et de gestion de la communication de la Faculté de communication, culture et société de l’Université de la Suisse italienne (USI). De 2012 à fin 2023, il a été membre de la CFBE et délégué de l’Université de la Suisse italienne. Entre 2020 et 2023, il a assumé la fonction de co-président de la CFBE.
Quelle est l’expérience la plus marquante que vous retirez de votre activité en tant que membre de la CFBE et, plus récemment, en tant que co-président de la CFBE?
Le fait d’offrir à des jeunes la possibilité de vivre, grâce à cette bourse, une expérience en Suisse qui transforme leur vie et de retourner dans leur pays d’origine, forts de ce vécu, pour y apporter leur contribution est pour moi ce qui a été le plus marquant en tant que membre de la commission. Cela a été et reste profondément gratifiant.
Quelle est l’importance des bourses CFBE au sein de l’Université de la Suisse italienne?
On pourrait résumer les choses ainsi: la qualité avant la quantité. Dans le sens où, à l’USI, nous sommes malheureusement l’université qui, statistiquement, se voit attribuer le moins de bourses CFBE, principalement parce que mes collègues ne soutiennent pas assez de candidatures. Comme on peut le constater, je n’ai pas fait du bon travail en tant que professeur de marketing (rires). Cependant, nos quelques boursiers raflent régulièrement des prix internationaux, et même plus que la moyenne, par exemple par rapport à d’autres personnes soutenues par le FNS.
Quelles sont les défis qui se posent pour l’instrument des bourses CFBE?
L’un des défis est de rendre l’instrument plus attrayant aux yeux des collègues des hautes écoles. Pour l’instant, il représente pratiquement 60% d’une bourse du FNS, il faut donc souvent des fonds supplémentaires… Mais comme dit plus haut, cet investissement en vaut la peine!
Quelles sont selon vous les possibilités qu’offre l’instrument des bourses CFBE?
S’établir durablement comme un élément central de la diplomatie scientifique. Ce que la CFBE propose restera toujours un produit de niche. La qualité avant la quantité, précisément!
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes chercheurs qui souhaitent postuler pour une bourse CFBE?
Il est très important que le thème et la méthode de la demande de recherche soumise correspondent aux priorités de recherche de l’institut d’accueil et du superviseur académique. Cette adéquation des intérêts de recherche est essentielle! Premier conseil à un candidat: bien regarder ce que le superviseur académique potentiel publie, quelles sont ses méthodes de travail, les éléments théoriques qu’il utilise et comment. Pour ensuite s’interroger: où est-ce que je m’intègre? Puis-je apporter une contribution en introduisant un nouveau contexte géographique (c’est-à-dire celui de mon pays d’origine)?
Carte blanche: qu’aimeriez-vous encore ajouter?
J’aimerais remercier chaleureusement mes collègues pour la collaboration vraiment enrichissante au sein de cette commission interdisciplinaire. Vous allez me manquer!